LA CIGOGNE DE LA LÉGION (2/3)

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La première partie nous avait présenté ce pensionnaire bien original de la caserne de la Légion Etrangère à Sidi-Bel-Abbès, dans l’immédiat après-guerre. Cette seconde partie va nous narrer un incident pour le moins original.

LA CIGOGNE ET LE SOLDAT.

D’où venait notre hôtesse tombée du ciel, qui avait fait des jardins du Cercle son vrai domaine, par ailleurs cloturé ?

Pour les uns c’était un cigogneau tombé du nid que ses parents continuèrent de nourrir conjointement aux Légionnaires des cuisines, et qui, de ce fait, n’apprit jamais à voler devenant une cigogne terrestre mais non domestique, car elle refusa cette infantilisation que connaissent les animaux de compagnie, gardant toujours un port altier et une démarche lente et cadencée qui semblait calquée sur le pas d’énergie maîtrisée des Légionnaires.

Pour d’autres, elle avait été ramenée, accidentellement blessée en cours d’opération, et soignée au même titre qu’un Légionnaire.

Les militaires de notre Légion savaient manier l’humour autant que les armes et faisaient courir sur l’origine de cette cigogne les versions les plus romanesques, y compris sa participation, tel un pigeon voyageur, à l’acheminement d’un message des plus importants que le Général ROLLET, le «  père de la Légion « , lui-même, avait, affirmait-t-on, attaché à la patte de ce voilier du ciel, qui s’acquitta de sa mission au prix d’une balle qui en fit ce que les aviateurs appellent un rampant.

Je ne peux rien affirmer sur l’origine de cette impavide cigogne qui s’aventurait quelque fois à l’extérieur de ses jardins et franchissait le portail qui donnait sur la rue.

Ce que je peux attester, c’est que lorsqu’il prenait la fantaisie à ce majestueux oiseau de s’aventurer à l’extérieur, les Légionnaires, et parfois même, les gardiens de la Paix du Commissariat voisin, veillaient à ce qu’elle eût le pas sur les véhicules. Les conducteurs, par curiosité autant que par prudence, stoppaient pour laisser traverser la rue à ce qu’il eut été inconvenant d’appeler «  mascotte «  tant il y a dans ce terme de considération, quelque peu triviale, qui ne pouvait convenir à ce fier oiseau.

Cette cigogne à laquelle il semble qu’il ne fut pas attribué de nom, sans doute pour décourager toute familiarité à son égard, perdait de son port majestueux en hiver où, avec les frimas dont nous n’étions pas exempts à SlDl-Bel-ABBES, son plumage ternissait alors que son cou et sa tête se recroquevillaient-, son bec reposant sur son jabot.

Je me rappelle l’avoir vue, lors d’un rude hiver du début des années cinquante, sortir pour une courte promenade, le corps bien pris dans une sorte de justaucorps verdâtre, vraisemblablement taillé dans un pull-over militaire et qui ne laissait apparaître que sa tête, le haut de son cou, le bout des ailes et ses deux pattes couleur corail. Elle devait être consciente de son aspect incongru car elle s’arrêta un jour à ma hauteur, pencha la tête, et me jeta un regard où je crus discerner du défi.

Aucune moquerie ne survenait chez les passants qui regardaient attendris cet oiseau dont l’espèce planait dès les beaux jours dans notre ciel et que nous chantions dans une comptine en langue espagnole.

Cet animal qui arpentait de son pas immuable les allées du jardin du Cercle, tel un vieux moine méditatif, n’accordait aucune attention à personne, à l’exception d’un jeune légionnaire allemand des cuisines, des mains duquel elle acceptait sa nourriture et des caresses qu’elle recevait avec une attendrissante volupté.

D’autres s’étaient essayés à établir un lien plus affectueux avec le dédaigneux animal, sans y parvenir et essuyant parfois quelques bénins coups de bec destinés à marquer la distance qu’elle comptait garder avec tout autre qui ne fût pas son ami bavarois.

Certains la disaient rancunière et quelque peu irascible et illustraient ce jugement injuste par l’anecdote suivante :

Un jour que notre cigogne se trouvait devant le portail de l’entrée des jardins du Mess, en compagnie de son ami, se présenta un lieutenant qui, s’adressant sur un ton de ferme autorité au jeune légionnaire, lui fit des remarques bien senties sur la négligence de sa tenue.

Le jeune cuisinier statufié dans son garde à vous ne dit mot et rentra mettre son apparence en conformité avec les exigences vestimentaires propres à ce Corps d’élite.

A quelque temps de là ce même officier de cavalerie vint à passer de bon matin, chevauchant un magnifique cheval arabe. Il s’apprêtait à pénétrer dans les jardins pour y aller prendre son petit déjeumer, lorsque la cigogne qui, de toute évidence avait reconnu le censeur de son ami, se plaça derrière le cheval et d’un rapide cou de bec lui piqua l’arrière-train. D’aucuns prétendent même qu’elle s’attaqua aux parties nobles de la bête. Le fait est que le cheval poussa un court hennissement en se cabrant subitement, ce qui eut pour effet de faire vider les étriers au fringant cavalier.

Celui-ci, avec la parfaite maîtrise des officiers de son arme, se releva promptement lissant ses bottes saumure de ses gants beurre frais.

Après avoir remis son képi d’aplomb et serré sa cravache sous son bras droit, il sortit sans mot dire un carnet de sa poche ainsi qu’un stylo et vint recueillir les noms des quelques militaires témoins de la scène et qui auraient trouvé irrespectueux de l’aider à se relever, de s’inquiéter de sa santé et encore plus de sourire de l’incident.

Au garde à vous, chacun déclina son identité, son unité et son matricule.

Cette formalité accomplie avec la même impassibilité l’officier ajouta :

«  Messieurs je serai là à midi pile avec le champagne que nécessite la circonstance. Je vous donne ordre de vous y trouver avec plateau et verres. » Personne ne marqua pas le moindre étonnement, car telles sont les traditions légionnaires qui veulent qu’un officier ne soit désarçonné en aucune circonstance, et partant ridicule.

Faisant demi- tour il remonta sur son cheval sans un regard pour le vindicatif oiseau qui fort impoliment se mit à craqueter…

à suivre

Alfred Marmus

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